Les « Elles » du Métal

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Kowai

« Dissonance »

production indépendante

2014

 

Quand vient le temps de jaser métal mélodique ou symphonique avec chanteuse, il ne fait absolument aucun doute que les Pays-Bas sont un terreau formidablement fertiles en groupes du genre. À preuve, le petit état d’Europe de l’Ouest nous a fait connaître les Epica, Within Temptation, Stream of Passion et autres Delain. J’arrête mon énumération ici car j’aurais pu étirer la liste encore et encore. En plus de nous envahir avec une grande quantité de formations, on peut surtout souligner que les productions néerlandaises sont souvent synonymes de qualité, autant musicale que sonore. Les attentes sont donc hautes envers Kowai, héritiers de cette lignée.

La première raison qui pousse nos attentes vers le haut: l’identité des producteurs de « Dissonance« , le premier album du groupe. Même si leur production est indépendante (donc, sans l’appui de maison de disques), Kowai s’est adjoint des personnalités bien en vue pour les seconder derrière les manettes: Joost van den Broek et Jeffrey Revet. Si le deuxième est surtout connu pour son rôle de claviériste de Stream of Passion et opère en parallèle un studio d’enregistrement, le premier est bien établi autant comme musicien (Sphere of Souls, After Forever et Star One) que comme producteur (Stream of Passion, Nemesea, ReVamp, Xandria, Mayan…). Bref, juste à la lecture du livret, en connaissant les antécédents des deux producteurs, on peut immédiatement avoir une idée de ce qui nous attend.

La conséquence de ces choix quant à la production est immédiatement perceptible. On se retrouve ainsi à tenir entre nos mains un produit particulièrement bien soigné, mettant en vedette tous les instruments avec un bel équilibre, le tout sonorisé avec une amplitude qui rend bien la puissance de la musique, particulièrement lors des passages plus musclés et plus consistants. Pas de surprise ici, il s’agit bel et bien d’un album néerlandais, qui non seulement offre une musique mélodieuse, mais dont les compositions sont poussées vers le haut par cette production claire et minutieuse.

Justement, arrivons-en, à la musique. C’est quand même ce qui fait toute la différence, en bout de ligne. Ici encore, nos oreilles savent que cet album vient des Pays-Bas. En effet, de tous les groupes que j’ai nommés en introduction, on en retrouve une petite pincée dans la musique de Kowai: des claviers symphoniques qui évoquent Within Temptation, le chant – autant féminin que masculin – qui nous renvoie à Epica, et des mélodies tantôt plus musclées, tantôt plus lisses et émotives, qui nous font alterner entre Delain et Stream of Passion. Vous comprendrez donc que l’originalité n’est pas la qualité première de Kowai, mais ce n’est pas une raison pour tourner le dos à cette première offrande qui ne manque pas de charme.

En fait, l’idée de condenser les particularités de tous les grands noms du métal néerlandais s’avère ici une force, dans le sens où tout est exécuté merveilleusement bien et que les fans de tous ces groupes y trouveront leur compte. Le chant de Laura van Nes vient immédiatement nous charmer, la chanteuse portant dans sa voix une attachante joliesse et une douceur dont les accents nous rappellerons à plusieurs reprises Simone Simons d’Epica, à la différence où la première ne s’aventure pas dans le territoire du chant d’opéra. Le guitariste Bertan Zwijnenburg prend occasionnellement place derrière le micro pour donner la réplique et amener un côté plus sombre à l’ensemble avec un chant guttural qui, sans être éclatant, contribue aux ambiances sans devenir envahissant.

Au niveau de l’instrumentation, ce sont surtout les claviers qui occupent la place du conducteur. Ceux-ci, très symphoniques, sont complémentaires à l’aspect vocal dans le sens où la paire chant/claviers sont en harmonie constante. Les guitares, sans voler la vedette, sont bien présentes et nous glorifient de belles envolées, plus mélodiques que rageuses. Les solos sur « Fallen Behind » et « Pride » nous en fournissent un exemple parfait: on ferme les yeux et on se laisse bercer par l’âme qui se dégage derrière l’exécution. La clarté de la production, mentionnée ci-haut, donne également à la section rythmique sa juste place.

Le son général et les compositions nous rappellent toutefois que les membres de Kowai semblent entretenir une certaine admiration pour Within Temptation. Les arrangements et sonorités jouent constamment dans les plate-bandes de leurs célèbres concitoyens. Les sons des claviers sur « Earth Below, The Promise » (ironiquement, une chanson de Within Temptation porte le même nom), la section centrale instrumentale de « Undisgraced » et les arrangements généraux de cette pièce, ainsi que l’introduction de « Ice Cold Sun » semblent directement sortis de l’album « Mother Earth« , pour notre plus grand plaisir lorsque l’on constate que la troupe de Sharon den Adel et Robert Westerholt semble s’être fortement détournée de cette orientation depuis quelques années. Ainsi, Kowai devient en quelque sorte le porteur d’une flamme qui, autrement, menaçait de s’éteindre.

Ajoutons à tout ça que le tout formé par les neuf compositions est bien varié, le groupe réussissant bien à jouer avec les tempos et le niveau d’énergie. Contrairement à plusieurs autres groupes du genre, Kowai réussit à apporter une belle intensité à ses pièces plus tranquilles, comme nous le prouvent « Pride » et la superbe « In Retrospect« , qui sont beaucoup plus que des interludes calmes pour faire le pont entre les pièces énergiques. La plupart de ces pièces énergiques sont davantage à classer dans un registre mid-tempo; les gens aimant le métal très rapide et rythmé ne sont pas les clients idéaux pour la musique du groupe. Ce sont surtout l’ambiance et la communication entre les instruments qui seront le point marquant du disque: « Yield« , en ouverture d’album, en offre une démonstration convaincante.

Ironiquement, les plus belles réussites de ce disque sont les pièces plus rythmées. Dans ce registre, « Man’s Downfall » se révèle le point culminant de l’album, avec une mélodie entraînante et un superbe duel entre la guitare et les claviers en plein centre de la pièce, où les instrumentistes s’en donnent à coeur joie avec de solides solos. Dans la même veine, « Ice Cold Sun » vient fermer le disque de belle manière. Plus longue chanson de l’album (6:21), celle-ci résume bien la musique de Kowai: compositions aux ambiances riches et variées, envolées habiles de tous les instruments et chant irréprochable qui, sans chercher à faire de la haute voltige, réussit largement à nous séduire.

Somme toute, il n’y a rien à redire sur ce premier album. La musique y est bien structurée, bien augmentée par une production qui place en avant tout ce que le groupe peut offrir de mieux. Kowai signe donc avec « Dissonance » une belle réussite et peut maintenant se pointer partout en étalant fièrement cette carte de visite. Maintenant, pour aller plus loin et devenir un leader de sa vague, le groupe devra trouver le moyen de se démarquer et de se doter d’une identité musicale plus personnelle. Les ingrédients sont réunis, le temps et la maturité se chargeront bien du reste, j’en suis sûr.

Stéphan

 

 

 

Les « Elles » du Métal

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StOrk

« Broken Pieces« 

MUSO Entertainment

2014

 

Trente-cinq ans, c’est incroyablement jeune pour partir. C’est hélas ce qui est arrivé le 15 avril dernier alors que le guitariste Shane Gibson, que certains fans ont connu avec Korn, s’est éteint des suites de complications en raison d’un caillot sanguin. Désagréable aléa du destin, Gibson n’aura pas eu le temps de voir paraître « Broken Pieces« , deuxième album du groupe métal/progressif StOrk qui est apparu sur les tablettes une dizaine de jours plus tard. C’est donc avec cet événement tragique en tête qu’on tend l’oreille à ce qui s’est transformé, en quelque sorte, en testament musical.

Toutefois, soyons clairs, StOrk c’était plus que Shane Gibson. Pour ce projet il était accompagné de musiciens de haut calibre : le batteur Thomas Lang qui a travaillé avec une kyrielles d’artistes – nommons Robert Fripp, Paul Gilbert, Glenn Hughes et le Vienna Art Orchestra en particulier – et le bassiste Kelly T. LeMieux qui a entre autres travaillé avec le même Gilbert et également Dave Mustaine. Alors que le premier album du groupe était totalement instrumental, ce deuxième [et dernier?] essai voit l’entrée en scène de la chanteuse VK Lynne (Vita Nova, From Light Rose the Angels). Au menu? Des prouesses musicales formidables, de l’excentricité et une bonne dose de sonorités inhabituelles, mélangeant dissonance et fusion des composantes.

J’aime bien avoir tapé spontanément le mot «fusion», preuve que parfois les doigts sur le clavier ne font tout simplement que suivre les oreilles. En effet, même si j’ai accolé une étiquette au groupe dans mon introduction, celle-là tient à bien peu et ne peut servir que de mince base pour décrire StOrk, dont le son se situe aux carrefours de multiples genres. La pièce « StOrk »  nous accueille lourdement, la guitare de Gibson étant placée bien en avant, et nous découvrons ainsi le talent du regretté musicien, capable de briller autant sur l’aspect technique que sur l’aspect sonore. La différence par rapport au premier album instrumental se fait aussi rapidement sentir, VK Lynne démontrant de nouveau sa grande versatilité vocale, capable de chanter dans les tous les registres.

Ensuite vient « Pillow Person » qui, encore tout en lourdeur, s’aventure sur un terrain plus psychédélique, avec un son de guitare grinçant et une rythmique omniprésente. Thomas Lang est littéralement étourdissant derrière les fûts, non seulement en raison de sa grande dextérité, mais surtout en raison de sa grande inventivité, amenant les mélodies à un autre niveau en ne faisant pas que les supporter, mais bien en les enrichissant. La pièce « Bat« , quant à elle, prend une tournure surprenante; s’amorçant sur une douce introduction nous suggérant que l’on aura affaire à une chanson plus mélodique – l’un des créneaux privilégiés de la chanteuse -, on se retrouve rapidement à flirter avec le progressif moderne, plus particulièrement avec les œuvres de la période 1995-2003 de King Crimson ou avec une basse qui pourra évoquer Primus, où LeMieux démontre que la solide rythmique n’est pas seulement l’affaire de son collègue tenant les baguettes.

Si « Heretic » continue dans cette veine lourde, on peut relaxer un brin grâce à « Paper Angels« , chanson plus planante et mélodique. On peut cette fois porter notre attention davantage sur la mélodie que sur la démonstration technique, nous renforçant dans notre certitude de côtoyer plusieurs genres à la fois. Nous revenons rapidement en territoire connu avec « Chainsaw Serenade« , personnellement ma pièce préférée du disque, qui place toute la force des musiciens en avant, la batterie s’y faisant étourdissante, la guitare et la basse venant bien supporter le travail de Lang qui transporte la chanson avec ses changements de rythme, bien en phase avec le chant de VK Lynne qui prend ici des accents plus saccadés et rageurs, elle qui démontre encore une fois qu’elle est littéralement une chanteuse «caméléon», pouvant exceller dans tous les registres.

Question d’apporter encore plus de couleurs à l’ensemble, Shane Gibson apporte même sa contribution au chant, faisant amende honorable en apportant une touche plus agressive à « Delusional« , les chants féminin et masculin se complétant plutôt bien. Gibson fait presque cavalier seul derrière le micro sur « Given Away » où il chante de manière plus posée, bien supporté par VK qui se contente de renforcer son compère en apportant sa voix discrètement en renfort. Le guitariste s’illustre ensuite de manière brillante sur « Mine« , où il utilise encore une fois son instrument de manière colorée, parfois à la manière de Tom Morello de Rage Against the Machine. C’est toutefois sur le brillant exercice de style qu’est « U » que le disparu nous réserve ses plus belles envolées; cette courte pièce instrumentale se révèle être une habile démonstration technique, à la fois intense et relaxante, qui fera le délice de tout amateur de guitare, peu importe ses allégeances musicales.

Si « Overflow » poursuit dans la veine plus calme apportée par « U« , « How Old are You » nous ramène en univers connu, c’est-à-dire en mettant à l’avant une guitare lourde, une section rythmique étourdissante comme toujours, et en venant encore une fois nous rappeler la brillante idée qu’ont eu les leaders Lang et Gibson de s’adjoindre les services d’une chanteuse qui amène sans l’ombre d’un doute la musique à un autre niveau tout en brisant l’impression de vide qui peut s’installer à la longue sur un album totalement instrumental. Surprenamment, « Broken Pieces » est fermé de manière quasi-acoustique par la pièce-titre, ce qui contraste fortement avec le contenu offert sur le reste de l’album.

À mesurer les mérites de tous les membres du groupe, on peut mettre en exergue le fait que StOrk est une réunion d’individus possédant une grande expertise dans leurs champs respectifs. Toutefois, rien ne garanti qu’une réunion de grands musiciens sera toujours fructueuse en raison parfois de conflits d’ego ou de mauvaise entente artistique. Ce n’est pas le cas ici, alors qu’on peut percevoir au contraire que les pièces du casse-tête s’imbriquent parfaitement, faisant de « Broken Pieces » un album solide et bien structuré, riche en rebondissements.

En conclusion, j’ajouterais que, déjà un événement tragique en soi, le décès de Gibson pourrait également entraîner des dommages collatéraux c’est-à-dire provoquer le démantèlement de la formation. En effet, la chanteuse VK Lynne, évoquant que ce dernier était l’esprit derrière le groupe, a décidé de quitter le bateau avant le début de l’été. Que feront les membres qui restent? Pour l’instant, les mises à jour se poursuivent sur les réseaux sociaux et la page web officielle du groupe, laissant planer un espoir qu’il y a peut-être un futur pour StOrk

Stéphan

 

 

 

Les « Elles » du Métal

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Quand vient le temps de nommer les foyers principaux du métal européen, la Grèce ne vient pas instantanément à notre esprit. Pourtant, ce pays a toujours réussi à nous surprendre au fil des ans avec les Septic Flesh, Elysion, Chaostar, Meden Agan et autres… D’ailleurs, c’est l’ancienne chanteuse de Meden Agan, Iliana Tsakiraki, qui refait surface à l’avant d’une nouvelle formation nommée Enemy of Reality. Après plusieurs mois consacrés au financement et à la production, les nouveaux-venus nous présentent leur premier album, « Rejected Gods« .

 

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Enemy of Reality

« Rejected Gods« 

F.Y.B. Records

2014

 

Comme c’est la mode ces temps-ci, plusieurs les formations ayant une chanteuse au style lyrique, sont étiquetées «symphoniques»; cet attribut est vrai la plupart du temps car les voix des dames metal, souvent portées vers l’opéra, se marient bien avec un style symphonique. Dans le cas qui nous intéresse ici, l’affirmation est à moitié véridique: Enemy of Reality nous offre bel et bien des sonorités symphoniques dans sa musique, en raison d’une forte présence des claviers, mais en raison de la grande densité sonore et de la démonstration impressionnante de tous les membres du groupe, je serais davantage porter à leur coller le qualificatif de «metal technique», qui fera davantage référence à un groupe comme Dream Theater, par exemple.

C’est effectivement le talent d’exécution qui nous frappe le plus à l’écoute de ce disque. Bien sûr, les mélodies sont, à l’image de ce qui se fait dans ce style musical, plutôt avenantes mais cet élément se retrouve un peu relégué au second plan par le jeu des musiciens. Le guitariste Steelianos Amiridis est tout simplement époustouflant à la six-cordes, offrant de solides riffs et surtout des solos étourdissants sur à peu près toutes les chansons. Son talent aurait pu suffire pour transporter l’album à bout de bras mais, par souci de diversité et de richesse, les claviers viennent aussi prendre la vedette, la claviériste Marianthe nous présentant, quant à elle, une palette sonore très variée et vivante, donnant beaucoup de couleurs aux compositions. Son talent et son jeu, qui pourront à l’occasion évoquer Jordan Rudess (Dream Theater) viennent donner le change à la guitare, alors que la dame saupoudre habilement plusieurs interventions solistes.

Quant à la section rythmique, elle se démarque surtout par sa lourdeur. Le bassiste Thanos et le batteur Philip Stone complètent bien leurs collègues, donnant à « Rejected Gods » un son très dense et très profond, offrant un juste contrepoids à l’aspect symphonique véhiculé par la voix et les claviers. On pourra toutefois émettre ce petit reproche que la rythmique est parfois mixée trop en avant dans le processus, venant à quelques occasions jeter un peu d’ombre là où guitare et claviers se devraient d’occuper l’espace sonore. On notera entre autres ce problème sur « Torn Apart« , très bonne pièce où l’omniprésence de la double pédale peut devenir obsédante. Ce problème, davantage relié à la production qu’à la performance, ne vient toutefois pas réduire le plaisir qu’on éprouve à écouter ces musiciens qui, visiblement, maîtrisent leurs instruments.

L’aspect vocal est tout aussi irréprochable, la chanteuse Iliana Tsakiraki offrant une performance remarquable. Soprano, elle livre sa voix tout en puissance et démontre beaucoup d’étendue et de profondeur. Son travail vient en fait contrebalancer l’aspect technique de la musique du groupe, en amenant une certaine émotion à l’ensemble, qui autrement aurait pu tomber dans une certaine froideur, défaut parfois inhérent aux groupes qui misent beaucoup sur le talent des musiciens. Ainsi, on se retrouve confronté à un bel équilibre entre virtuosité et émotion. Chaque passage musclé (et il y en a!) est toujours bien compensé par une haute envolée lyrique ou par une instrumentation symphonique (la superbe introduction classique de « Twist of Time » en particulier).

Afin de rendre l’ensemble davantage attrayant, Enemy of Reality a également réussi à s’adjoindre les services d’invités prestigieux. « My Own Master » nous permet d’apprécier le talent du bassiste Mike LePond (Symphony X), qui laisse sa trace sur une pièce où la rythmique est complexe, tout en nous gratifiant de superbes solos, autant à la guitare qu’aux claviers. « Needle Bites« , chanson centrée autour des claviers, est vocalement augmentée par Ailyn Gimenez (Sirenia) qui malheureusement se retrouve un peu mise en ombre par la production, sa voix claire n’arrivant pas vraiment à s’imposer face à la puissante voix de Tsakiraki. Ensuite, la chanteuse de Chaostar, Androniki Skoula, surprend sur « The Bargaining » en livrant un chant guttural qui contraste de manière étonnante avec ses capacités à aller capter les hautes notes dans un registre d’opéra comme elle le fait couramment avec son groupe. Finalement, sur la ballade « Step Into the Light » qui clôt l’album, Iliana est opportunément accompagnée de Maxi Nil (Jaded Star, ex-Visions of Atlantis) pour un duo où les deux voix se complètent bien.

Il est bien difficile de mettre en exergue une ou deux chansons en particulier, chaque composition se faisant solide; en effet, aucune des onze pièces de « Rejected Gods » ne mérite justement d’être rejetée, la virtuosité étant au rendez-vous sur toute la durée de l’album. La plus belle qualité de Enemy of Reality est justement d’avoir été en mesure de mettre en vedette tous les musiciens, témoignant d’un intéressant travail collectif d’écriture où chacun se voit donner l’occasion de briller sous les feux de la rampe. Personnellement, étant davantage incliné à apprécier les claviers (effet d’avoir grandi avec du rock progressif plein les oreilles), j’affirme ma préférence pour des chansons comme « Grief Divine » ou « Torn Apart« , qui placent l’habile doigté de Marianthe bien en évidence. Toutefois, rien n’est unidimensionnel sur ce CD, une chanson extrêmement complexe comme « One Last Try » vient le prouver, en en donnant pour leur argent aux amateurs de tous les instruments.

Après plusieurs écoutes de ce premier album, je ne peux que constater le grand professionnalisme de Enemy of Reality. L’espace sonore est habilement occupé avec grand talent et surtout, je me permets à nouveau d’appuyer sur le principe d’équilibre. Équilibre entre les instruments, mais aussi équilibre entre talent brut et sensibilité symphonique. Bref, tous les éléments viennent se compléter pour former un ensemble d’une grande richesse. Dans un créneau musical de plus en plus saturé, les groupes doivent redoubler d’ardeur pour pouvoir se démarquer et définitivement, la formation grecque a fait ses devoirs, arrivant avec une carte de visite des plus attrayantes. Voici donc un album à écouter encore et encore, le plaisir étant toujours au rendez-vous.

Stéphan

 

 

 

Les « Elles » du Métal

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Un des plus beaux avantages d’aller dans un festival comme le Metal Female Voices Fest (oui, j’y serai encore cette année, on s’en rejase début octobre), c’est qu’un événement comme celui-ci nous amène à faire des découvertes, et ce avant même que les festivités commencent! M’étant totalement inconnu lorsqu’il est apparu sur l’affiche, le groupe italien Evenoire récolte désormais mon adhésion complète. Ayant déjà derrière lui le solide « Vitriol« , publié en 2012, le quintette de Lombardie nous revient avec son deuxième album, « Herons« .

 

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Evenoire

« Herons« 

Scarlet Records

2014

 

Le défi, lorsque l’on fait une excellente première impression, c’est de maintenir cette impression positive à un haut niveau. Pour se faire, un groupe voit deux possibilités se présenter à lui: pousser plus loin ou bien consolider les acquis. Dans le cas qui nous intéresse ici, c’est la deuxième option qui prévaut, le premier constat étant qu’Evenoire se préoccupe surtout d’asseoir son style et de faire sa place. Parfois, ce parti-pris passera pour un recul ou, à tout le moins, pour un refus d’avancer. Mais ici, comme nous parlons d’un groupe relativement peu connu, ne pas s’aventurer dans de nouvelles avenues s’avère un choix judicieux, surtout que le départ était, disons-le, canon, « Vitriol » étant un album dont je regrette qu’il me soit passé sous le nez pendant tout ce temps tellement il est agréable à l’écoute.

La formule sur laquelle mise Evenoire au départ est au premier coup d’oeil conventionnel, les Italiens s’affairant à produire un métal mélodique aux accents symphoniques. Rien de nouveau sous le soleil ici, mais le groupe le fait avec une grande cohésion musicale et une production sonore solide. L’ajout, le petit «extra» qui rend la formation très attrayante, est l’utilisation judicieuse de la flûte; judicieuse dans le sens où son usage est très bien saupoudré sur la durée du disque, en venant en renfort des mélodies et, surtout, en ajoutant une touche folklorique, voire médiévale à plusieurs passages ce qui, de plus, se marie extrêmement bien avec la trame littéraire préconisée par la chanteuse/parolière/flûtiste Lisy Stefanoni.

Sur cet aspect, la compositrice suit la même ligne directrice que sur l’album précédent, c’est-à-dire que les chansons sont un véhicule pour nous faire pénétrer dans un monde mythologique et fantastique. Phaéthon, fils d’Hélios, la reine Tresenga et la légende du lac Tovel, le roi Ortnit, la Méduse, le Diable, ainsi que des personnages du folklore historique italien sont tant de personnages et thématiques à découvrir ici. « Herons » s’avère donc un beau voyage dans un univers imaginaire où nous n’avons qu’à nous laisser transporter par les histoires et par, bien sûr, le volet musical qui se révèle être tout aussi coloré et éclatant.

Le démarrage en force avec la paire « Herons/Drops of Amber » nous donne une bonne idée de la richesse qui se dégagera de ce recueil de onze pièces. L’introduction nous berce avec sa flûte enchanteresse avant le déchaînement des instruments dans une tornade sonore où les instrumentistes font preuve d’une belle complémentarité, avec encore une fois cette flûte qui contribue à donner plus de couleurs à l’ensemble. On enchaîne avec « Season of Decay » qui elle aussi s’amorce dans le calme, avant l’intervention lourde de la section rythmique que vient bien renforcer des arrangements de claviers qui, si ils frappent moins l’oreille que sur l’album précédent, viennent habilement enrober l’ensemble. Les claviers sont d’ailleurs tenus par trois musiciens différents, contribuant à varier les ambiances. Ceux-ci sont d’ailleurs utilisés différemment que sur « Vitriol », où l’on retrouvait quelques solos. Ici, on ne retrouve pas de démonstration du genre, seulement des arrangements très enveloppants, très denses.

« Love Enslaves » nous offre ensuite une superbe démonstration d’instrumentation, avec quelques touches de piano ici et là et un passage instrumental central où guitare, claviers et flûte nous émerveillent, sans oublier la solide section rythmique, ici plus forte que jamais. Quant à « Newborn Spring« , elle se fait plus directe en allant droit au but, sans l’introduction planante que l’on retrouvait sur les pièces précédentes. Fait à noter, la chanson se termine avec une courte séquence où la guitare et la batterie se croisent d’une façon qui rappelle Rush.

Evenoire revient à ses habitudes sur « When the Sun Sets« , en nous enveloppant de flûte d’entrée de jeu, bien appuyée par les claviers. Le chant de Lisy Stefanoni connaît ici ses plus belles heures, la vocaliste nous offrant une interprétation colorée, très en phase avec la musique qui traverse plusieurs ambiances, qui met bien en valeur le mélange metal/médiéval habilement offert. Sur « Tears of Medusa« , nous avons droit à la présence de l’invitée Linnéa Vikström, l’une des chanteuses de Therion, qui vient augmenter une chanson au rythme rapide et intense. La voix de l’invitée, plus aigüe, offre un beau contraste avec celle de la chanteuse principale qui se fait plus chaude et plus grave.

Sur « Devil’s Signs« , les claviers enveloppent bien la mélodie, surtout transportée ici par la guitare. L’auditeur sera encore une fois épaté par Lisy Stefanoni, dont le chant est extrêmement coloré. Il est en effet très difficile d’étiqueter la voix de cette dernière, elle qui varie bien l’intensité et la hauteur de son chant. La richesse de l’interprétation vocale est sans l’ombre d’un doute un point fort, la chanteuse s’imprégnant totalement des histoires qu’elle a écrites en les livrant de manière très expressive tout en étant à l’aise autant sur les passages rock que les passages plus doux.

Cet habile contraste que l’on peut déceler au niveau vocal se transpose d’ailleurs très bien au niveau musical, où les mélodies finement ficelées par le bassiste Marco Binotto nous gardent constamment sur le qui-vive. « The Lady of the Game« , qui débute de manière très rythmé, nous en offre une preuve supplémentaire avec ses ambiances changeantes. On peut en dire autant de « Wild Females« , qui place la guitare acoustique au centre des arrangements, nous offrant une belle dualité électrique/acoustique, encore une fois bien renforcée par cette flûte si bien utilisée. Les festivités sont fermées par « Aries« , à l’introduction très atmosphérique qui fait ensuite place à une mélodie très rock, très carrée.

Décidément, j’ai beau cherché à trouver des défauts à ce « Herons« , je n’y arrive pas. Voici un album qui sait nous épater et nous garder attentif d’un bout à l’autre. La production est claire, l’instrumentation solide et variée, avec un chant absolument fantastique. Comme je le mentionnais au début de ce texte, Evenoire s’affaire surtout à faire sa niche dans le genre, et il le fait habilement. Le mélange rock/médiéval offert par le groupe est très séduisant et surtout très coloré, faisant d’emblée des Italiens des leaders dans ce genre musical. Ce que « Vitriol » nous avait dévoilé, « Herons » le confirme: voici un groupe qui, je l’espère, émergera de l’ombre. Avec un pareil talent, c’est une question de temps…

Stéphan

 

 

Les « Elles » du Métal

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Amberian Dawn

« Magic Forest« 

Napalm Records

2014

 

Annoncé depuis un bon bout de temps, le cinquième album du groupe finlandais Amberian Dawn (sixième, si on inclut la compilation « Re-Evolution » dont nous reparlerons plus loin) a finalement été déposé dans ma boîte aux lettres! J’utilise le point d’exclamation car voici une parution que j’attendais avec impatience, Amberian Dawn étant une formation que j’affectionne particulièrement.

Depuis la publication en 2008 de leur premier album, « River of Tuoni« , la formule musicale préconisée par les Finlandais n’a pas varié d’un iota. En effet, le leader Tuomas Seppälä (il est aussi claviériste et tient quelques parties de guitare) a toujours gardé les choses simples, très simples. Ainsi, on ne doit pas s’attendre de la part d’Amberian Dawn à de longues suites, ni à de grandes envolées conceptuelles. Le charme de leur musique se situe ailleurs, c’est-à-dire dans la facilité du compositeur à générer de sympathiques vers d’oreilles, supporté par des parolières qui colorent le tout d’un aspect mythologique et fantastique, tout en se fiant sur l’habileté technique des musiciens qu’il choisit pour s’entourer.

Ce qui était vrai en 2008 l’est encore en 2014 : les dix chansons qui forment ce nouveau recueil ne marquent pas vraiment de changement au niveau stylistique. Ainsi, Seppälä est demeuré dans ses vieilles pantoufles, gardant les compositions courtes (la plupart sous la barre des quatre minutes) tout en conservant l’habituelle ossature couplet/refrain/couplet/refrain/pont (souvent solo de guitare ou claviers)/refrain à laquelle il nous a habitué, rendant l’ensemble plutôt prévisible.

Vous comprendrez donc que ceux qui sont habitués à Amberian Dawn ne trouveront pas matière à surprise ici. Les bons côtés de « Magic Forest » se situent ailleurs, au premier chef à la facilité à laquelle les mélodies envahissent notre tête. Sur cet aspect, le compositeur fait flèche de tout bois en nous servant des mélodies imparables, extrêmement agréables à écouter. On peut également apprécier les solides capacités des musiciens, les solos (annoncés à l’avance dans le livret!) sont exécutés avec une dextérité remarquable. Notons entre autres l’apparition, sur un troisième album de suite, de Jens Johansson (Stratovarius) qui offre un solo de claviers sur « Dance of Life« .

Quant aux musiciens réguliers en place, ils mettent leurs talents aux services des chansons, dans le sens où même si l’alignement présenté par le groupe a varié au fil des ans, chacun d’eux a réussi à capter l’esprit de la musique pour offrir une belle continuité stylistique. Mettons toutefois en exergue la performance de la section rythmique, qui offre une démonstration très relevée; le batteur Joonas Pykälä-Aho, qui n’était pas de la partie sur « Circus Black » (2012) marque son retour avec une frappe plus solide que jamais tandis la basse de Jukka Hoffren fait sentir lourdement sa présence. Sur cet aspect, la réussite est éclatante et la rythmique est sûrement la meilleure de l’histoire du groupe.

On peut également remarquer un changement notable en ce qui a trait aux sonorités des claviers. Si ces derniers arboraient des couleurs plus sombres dans le passé, particulièrement sur le sus-nommé « Circus Black« , on remarquera que les teintes choisies sont beaucoup plus joviales, faisant de « Magic Forest » un album très enjoué, très positif. Parallèlement, ce léger changement sonore nous fera davantage croire qu’on se retrouve en territoire plus «pop», augmentant l’impact qu’ont les mélodies sur nos oreilles.

Bien sûr, le grand changement, le plus perceptible, le plus marquant, se situe au niveau vocal. Fin 2012, Heidi Parviainen quittait le navire et c’est ainsi que nous arrive une nouvelle chanteuse, nommée simplement Capri. Les fans du groupe avaient eu la chance de faire connaissance avec la nouvelle venue sur la compilation « Re-Evolution« , parue l’an dernier, où Amberian Dawn avait réenregistré onze chansons de ses quatre premiers albums pour nous présenter sa nouvelle «frontwoman». Décidément, Capri s’en était tiré admirablement, interprétant à sa manière des chansons immortalisées par sa prédécesseure, ce qui s’avérait un défi de taille, considérant la grande différence de registre entre les deux chanteuses.

En effet, si Heidi se démarquait par sa voix hautement lyrique dans le style opéra, Capri se révèle davantage comme une chanteuse typiquement rock, faisant preuve d’une belle polyvalence. Sa voix légèrement rauque laisse une empreinte très personnelle sur les chansons, bien qu’elle soit capable de chanter de manière plus lyrique à l’occasion, comme sur la pièce-titre ou sur « Green-Eyed« , où elle démontre une belle sensibilité.

Son chant, très varié, transporte les mélodies, de façon plus rock sur « Cherish my Memory« , qui ouvre l’album sur les chapeaux de roues, de façon plus théâtrale sur « Sons of the Rainbow« , pièce imprégnée de fantastique dont l’histoire aurait pu être écrite par sa prédécesseure (Capri a aussi hérité du chapeau de parolière) ou bien en donnant à sa voix des accents plus pop sur l’excellente « Warning« . Il n’y a que sur « Memorial« , chantée en duo avec le baryton Markus Nieminen, que le timbre de l’ancienne chanteuse se fait désirer davantage. Bref, Tuomas Seppälä a toutes les raisons d’être très enthousiaste d’avoir découvert Capri, qui se révèle une formidable trouvaille et qui, surtout, semble donner un nouveau souffle au groupe qui avait offert une performance plutôt relâchée sur l’album précédent.

Avec « Magic Forest« , Amberian Dawn amorce décidément une deuxième vie, transporté par une énergie très positive. Si les Finlandais ne ratissent pas bien large en terme d’étendue, on peut toutefois leur donner le crédit de gagner en profondeur en nous offrant possiblement une œuvre qui, sans être leur meilleure (à mon avis, le fantastique « The Clouds of Northland Thunder« , enregistré en 2009, demeure inégalé), s’avère être sans aucun doute leur plus constante au niveau qualitatif. Pas de moments morts ici, vous n’avez qu’à vous laisser transporter par les mélodies.

Stéphan