
Voici le compte rendu de Luc Belmont lors du spectacle de BUÑUEL présenté par District 7 Production à L’Anti Bar & Spectacles de Québec le 6 juillet 2025 et qui mettait également à l’affiche Today Is The Day et Spiritual Poison.
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Retour sur le spectacle
Une soirée de musique bruitiste émise par trois formations dont chacune varie dans sa constitution. Petite déception quant à l’achalandage: la salle était à peu près vide quand le départ du concert est initié à l’Anti-bar et Spectacles, en ce dimanche pluvieux.
Spiritual Poison
Le premier acte est un projet solo d’Ethan Lee McCarthy, chanteur et guitariste d’un groupe pilier du Sludge métal, soit Primitive Man. Ce musicien prolifique n’est pas étranger à la salle de l’Anti, y ayant déjà performé avec son autre groupe les 26 mars 2018 et le 5 juin 2022, dates dont les premières parties avaient été assurées respectivement par Spectral Voice et Mortiferum.
Cette fois, le géant Ethan troque sa guitare et son micro pour une plateforme sur laquelle trône une quincaillerie d’appareils électroniques. Debout au milieu de la scène, nu tête, il reçoit le faisceau de lumière du projecteur qui défile le court métrage accompagnant les deux mouvements de son numéro.
Des motifs ornementaux produisent des dédales épineux et sombres. Au travers semble circuler un vent houleux, qui se heurte sur des parois insondables. La coloration de la pièce se fait matte, arriérée, et on savoure le cycle des sons à travers de multiples palettes d’arrière-goût.
Un aveuglement comateux ne laisse entendre qu’une respiration suffoquée, saturée dans le vrombissement d’une accumulation de tintements retentissants. Le frottement causé dans les moniteurs engourdit les quelques auditeurs, comme un rappel permanent au calme et à la sérénité.
On reconnaît à l’écran la forme de quelques visages illuminés par la bienveillance, sur lesquels constelle la pollution jalouse de crépitements intrusifs. Dans un tremblement globuleux, l’artiste persiste au ralliement de présences invisibles, créant l’impression frêle d’un ensemble d’ombres allongées. Le fracas turbulent de la chute se perd dans les cimes inachevées.
Un lustre vitreux cristallise une implafonnable nostalgie, atavisme inconditionnel des origines où l’on n’était pas encore. Le musicien nous explose, au creux de la gravure vandale d’une lourde agonie où se troublent les échos déchus dans l’échec flagrant. Ce reproche interminable est mis en relief par la profondeur d’un espoir dont chaque déception provoque le renouvellement immédiat.
Une petite pause pendant laquelle le monde démontre un certain enthousiasme fait gage de l’attention apportée au travail du performeur par cette soirée tranquille. Les conversations se font rares durant cette période remplie de bruits.
La seconde partie du numéro ressemble à une catastrophe vécue dans un vaisseau où la pesanteur n’existe pas. Une voix enrouée récite un message ponctué d’interférence comme le ferait la boîte vocale d’un vieux répondeur. La communication demeure stable, et semble rapporter un phénomène abyssal inusité. La confidence concerne probablement le déroulement d’une opération concertée avec son destinataire.
La projection fait montre de procédés rituels qui soulèvent des questions quant à leur nature. Le son d’une alarme crée un sentiment d’urgence, alors que le tableau de bord griche avec impertinence. On entend un bruit de friction rescapé, comme une scie à l’éther brûlant de l’acier. Un klaxon éternel ajoute au sentiment de panique. Un tourbillon de succion aérien désintègre le sourd bourdonnement de la gravité siphonnée. Les images tremblent, les ondes divaguent: une collision imminente est anticipée.
L’ambiance angoissante est interrompue par une rencontre subite avec un ordre suprême. Des troupeaux de filaments lumineux engouffrent la totalité de l’agitation restante dans une finale lointaine et résonnante.
Today is the Day
Le groupe s’installe en formule duo, pour une première dans ce format à l’Anti, lui qui avait ouvert en trio pour Soulfly as Nailbomb le 16 mars 2018. Le batteur est de plus un nouveau venu dans la formation, et se présente sous le prénom de Colin. Le meneur du projet, Steve Austin, se place à gauche de la scène, tout près d’un ordinateur à partir duquel il démarre les séquences pré-enregistrées qui parsèment l’ensemble du numéro.
Les musiciens sont habillés sobrement, ayant chacun une chemise avec le premier bouton ouvert et des pantalons noirs, ainsi que la caboche calée dans une casquette monochrome. La seule différence d’accoutrement entre les deux réside dans l’emploi de manches et de culottes longues pour le chanteur, ce qui permet de camoufler ses tatouages et d’ainsi garder une allure chic malgré l’usure de sa calotte déteinte.
Avant de commencer, aux oreilles de tous, Austin offre candidement à Ethan de Spiritual Poison de se joindre à lui sur scène pour la onzième et dernière pièce du numéro, pendant laquelle est chantée « I can’tbewhatyouwant me to be, I’mdead ». Celui-ci se montre insistant lorsque Ethan lui répond avec un air embarrassé qu’il ne sait pas trop. On verra ce qui en sera, d’ici une bonne quarantaine de minutes.
Une brève et vaporeuse introduction permet aux deux membres du groupe d’occuper l’espace sonore avec leurs instruments avant d’entamer officiellement leur répertoire. Cela cause honnêtement un effet de surprise assez intéressant. Les premières pièces sont tirées de le la période classique du groupe, avec les six premiers morceaux figurant dans l’ordre sur l’album de 1999, In the Eyes of God. Plusieurs chansons sont ensuite tirées de leur premier album, Supernova.
Le fait de changer continuellement son alignement peut avoir l’avantage pour un groupe d’apporter des nouvelles interprétations à la musique, lorsque celle-ci laisse un peu de place pour l’improvisation. En revanche, pour arriver à cet agréable résultat, il est nécessaire d’appliquer une dose supplémentaire de travail. En apportant une attention particulière au jeu mutuel, il demeure possible d’atteindre un niveau acceptable de mise en cohésion.
Ici, la complicité entre les musiciens n’est pas très satisfaisante à observer, ce qui peut s’avérer frustrant pour n’importe qui connaît le groupe depuis près de vingt ans ou plus. Il semble malheureusement que chacun produit séparément ce qui est attendu de lui, ce qui par moment incite à commettre des différences d’accentuation qui ne peuvent être l’objet de nuances. Pour un groupe de plusieurs musiciens, cela se rattraperait probablement par l’association avec les autres instruments, mais encore.
Dans le cas d’un duo, il est difficile de résoudre de telles erreurs. Comme le batteur en demeure inébranlablement sûr de lui, c’est au chanteur-guitariste de justifier ces bévues dans le pittoresque, par des moues théâtrales ou des poussées vocales poignantes. L’exécution du batteur, bien qu’impeccable, manque un peu cette fougue rageuse qui caractérise habituellement la musique de Todayis the Day. Les refrains, normalement plus intenses en concert que sur album, en paraissent sensiblement amoindris, et l’énergie débordante du chanteur, alors qu’il hurle « Crucify Me !! », ne lui est rendue qu’en partie par son accompagnement tronqué.
Si le choix des pièces est effectué avec goût et style, le résultat en est plutôt audacieux. La sélection est similaire à celle présentée lors de la tournée avec Kayo Dot en 2017. Toutefois, en l’absence d’un bassiste, les sections instrumentales manquent de leur lourdeur fondamentale. Cela est fâcheux, surtout compte tenu du fait qu’un joueur de basse accompagnait le groupe quelques semaines auparavant (voir la vidéo du 14 juin à Brooklyn sur Youtube).
La douzaine de personnes dispersées dans la salle manifeste un emportement spasmodique. Les lumières rouges reflètent la tension palpable des accords joués à la guitare. L’instrument le plus important du numéro, la guitare, doit être changé et raccordé à quelques reprises, ce qui suggère que l’ampleur dysharmonique est due au désajustement des notes. Je suis d’avis que c’est plutôt l’intensité du jeu de Austin qui en perturbe le réglage.
Une pièce annoncée comme étant l’œuvre de Christopher Cross commence et se termine avec des notes de pianos en arrière-plan. Il s’agit d’une valse langoureuse, surmontée des quelques passages où la guitare accompagne parfois en tremolo le chant majoritairement a cappella.
La chanson suivante est un retour au son plus fort et lourd du groupe, avec ses frappes solides et ses bruits stridents. Il s’agit de la pièce titre de son opus de 2014, Animal Mother. Les couplets de ce morceau reposent crucialement sur un motif répété à la basse qui supporte les notes plus aiguës. Cet agencement de l’instrumentation n’a pas lieu cette fois.
Austin, le chanteur-guitariste, lance sa casquette loin de lui sur la scène et s’écrie plaintivement « Nothing for me !! Look whatyou’vedone !.. ». Les applaudissements sont loin d’être timides au terme de cette pièce envoûtante. L’accord mélodique joué au plectre en guise de sortie se termine sur un « Thankyousomuch » appuyé par le commentaire « En formule intime ! » d’un des spectateurs.
Les deux derniers morceaux sont joués avec beaucoup d’émotion et d’intensité. Les cymbales sont nombreuses, et les gestes sont exaucés. Le numéro se termine sur les notes méditatives de la pièce titre de l’album Temple of the Morning Star, à laquelle ne s’est finalement pas joint leur partenaire de tournée. Une finale agenouillée, une supplication pénible, le pic est lancé au milieu des spectateurs. Les remerciements pleuvent, se multiplient envers Olivier qui s’est occupé du son, et envers Hank Austin, fils de Steve, pour sa présence unique.
Buñuel
Le groupe italien Buñuel se produit pour la deuxième fois au Canada, après avoir participé au 39e Festival International de Musique Actuelle de Victoriaville (FIMAV) en 2023. Un léger changement a depuis été effectué dans la formation : le bassiste a été remplacé. Un truc n’a pas changé cependant, le bassiste du groupe joue toujours sur un instrument avec un manche en aluminium. Les quatre musiciens s’installent rapidement, et commencent leur numéro de façon abrupte.
La musique du groupe est très aérée. Elle comprend beaucoup de moments où presque rien n’arrive; comme de brefs instants d’attente. Cette particularité apporte un effet de contraste, et met d’autant plus en valeur les passages endiablés. Les musiciens démontrent une double nature, à la fois calme et déchaînée.
Les membres sont vêtus avec une certaine mesure d’accoutrement. Le chanteur se démarque par ses vestes en cuir ouvertes sur de gros tatouages, son pendentif représentant une étoile de David, ainsi que deux morceaux de ruban électrique collés de part et d’autre de la tête. Celui-ci se déhanche de façon élégante et affirmée, en assumant une indifférence qui fonctionne avec le côté voyou du groupe.
Le guitariste profite des moments de pause pour employer des positions inattendues. Par exemple, il se pose en tenant sa guitare la tête en bas au milieu de son corps, tout juste à la bonne hauteur pour laisser émerger son cou et sa propre tête. Son regard se perd alors dans le lointain de la salle. Le batteur opère quant à lui promptement, et ne semble pas indulger aux dépenses inutiles d’énergie.
La deuxième pièce reprend sur l’état d’exaltation contenue qui caractérise l’entrée en matière du groupe. Le chanteur fait preuve d’une maîtrise époustouflante de lui-même, ce qui rend sa présence formidable et imposante. La basse est puissante, parfois augmentée d’effets synthétiques. Les musiciens sont coordonnés, leur jeu est réglé à la montre.
La structure des pièces est décousue, ce qui ajoute un effet de foire burlesque à la performance. Le premier solo de guitare est joué en aphasique, et la pièce se conclut sur l’un des nombreux hymnes accrocheurs qui suivront. On a l’impression d’être complice d’un mauvais coup bien accompli dans un désert où les lois chancellent. Le sérieux des musiciens camoufle une source d’intelligence inépuisable et de raillerie moqueuse.
La musique respire énormément, ce qui laisse beaucoup de marge de manœuvre au chanteur. Celui-ci occupe à lui seul une partie importante du numéro. À quelques occasions, il est appuyé par les battements soutenus de la grosse caisse de son partenaire responsable des percussions. Les retours à l’ensemble sont toujours opportuns, et exécutés au même degré d’excellence. Les compositions du groupe sont balancées.
La musique porte à l’élévation, comme les solos de guitares projetés en hauteur, et la voix du chanteur chargée de grâce lyrique. Un rythme parfois gauche accompagne ses propos teintés d’une maladresse assurée. Un côté épique agit merveilleusement avec la verve indéniable du groupe, et les intentions claires du chanteur expriment une authenticité qui inspire confiance. L’insistance portée sur certaines notes est parfois déstabilisante, que ce soit celles portée sur les accords de guitare, sur les harmoniques nébuleux de la basse électrique, ou sur la voix relâchée du chanteur.
La septième pièce du numéro, intitulée Killing on the Beach, est l’une des pièces publiées comme single, avec un vidéoclip dans lequel le chanteur porte un habit doré. Ce morceau, bien qu’il soit présenté publiquement comme façade promotionnelle, est l’un des plus chaotiques de la soirée. Le contretemps frappé à la batterie déjoue la ligne sinueuse de la basse, tandis que quelques slides de guitares l’éclaire.
La huitième chanson qui suit se base sur un accord joué à la basse avec un style rappelant celui d’une harpe. Cela pose une ambiance un peu tendue, mais pas trop forte, et laisse l’opportunité de bien discerner les paroles répétées: « Do youhear me ? — Fromasheswegetdust — We all could die … ». Pendant ce temps, le guitariste patiente dans une torpeur stoïque. Le morceau est long,et à leur tour, les interventions de la guitare ajoutent de la couleur à la structure. Un court motif est échangé avec la basse. « Is hedead ? » demande le chanteur. La batterie augmente sa vitesse. Le trouble s’accentue jusqu’au sommet où tout s’éteint.
La soirée se termine rapidement, sous de modestes acclamations, quoique méritées. Le guitariste de Buñuel se poste aussitôt à la table des ventes de marchandise pour échanger quelques mots français avec le public. La soirée s’est bien déroulée pour tout le monde, et ce fut agréable de découvrir ces projets artistiques dans un format plus intime.
-Luc Belmont