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Within Temptation: l’énigme de l’évolution d’un groupe majeur, deuxième partie
Après avoir lancé trois albums et progressé musicalement sur chacun de ceux-ci, il est bien difficile à ce stade de prévoir ce que sera la suite des choses pour Within Temptation. Marcher dans les pistes déjà déblayées ou emprunter une nouvelle route pavée d’inconnu? Telle est à la question…
Jouer sur les deux tableaux
Si l’on pouvait percevoir une tentative de percée commerciale à l’écoute de The Silent Force, Within Temptation fait un autre timide pas dans cette direction avec The Heart of Everything, lancé en mars 2007 en Europe et en juillet de la même année aux États-Unis, une première qui démontre le potentiel de succès que perçoit sa maison de disques. On doit spécifier au passage que cet espoir d’une percée vient sûrement en grande partie du succès surprenant rencontré par le groupe italien Lacuna Coil, dont l’excellent Karmacode s’est hissé jusqu’au 28e rang du Billboard 200* américain en 2006, performance incroyable pour un groupe de metal européen dans un marché dominé par le country et la pop.
En raison de la stabilisation de la formation, cette nouvelle galette ne se détache guère de son prédécesseur au niveau sonore; Within Temptation a toutefois fait un petit pas en arrière en rallongeant ses titres pour les refaire passer au-dessus de la barre des cinq minutes, permettant ainsi un retour des passages instrumentaux, qui se font moins rares que sur The Silent Force. On peut donc facilement qualifier The Heart of Everything d’album du compromis car le groupe réussit à faire se côtoyer avec une belle harmonie des titres ambitieux et des titres plus accrocheurs, pour le plus grand plaisir de toutes les franges de son public.
Sans être l’oeuvre la plus aboutie des Néerlandais, The Heart of Everything s’avère sans l’ombre d’un doute sa plus consensuelle. La production, très soignée, met en valeur autant le côté rock que le côté symphonique du groupe et la puissance de la musique est bien renforcée par la présence de l’Orchestre philarmonique de Prague. L’auditeur se laisse donc transporter avec enchantement par des titres ambitieux comme Our Solemn Hour, Final Destination et surtout The Truth Beneath the Rose, autant que par des pièces plus musclées comme The Howling – qui a l’honneur d’être mise en vedette dans le jeu vidéo The Chronicles of Spellborn – la pièce-titre ou The Cross, ce beau mélange des genres venant nous rappeler que Within Temptation détient cette formule qui allie simplicité et complexité.
The Heart of Everything connaît une belle vie sur les palmarès grâce à des top ten dans huit pays (trois disques d’or et un disque platine) et une première entrée, fort modeste, dans les palmarès anglo-saxons (#38 en Angleterre et #106 sur le Billboard 200). Notons également la performance états-unienne honnête de la superbe What Have You Done, duo à la fois énergique et émouvant qui mélange les belles voix de Sharon den Adel et du chanteur de Life of Agony, Keith Caputo. Ce titre, qui rappelle fortement Evanescence, atteindra le #33 du palmarès U.S. Mainstream Rock Songs, un petit succès pas très surprenant considérant sa sonorité très américaine. On sent donc que la renommée est à la portée du groupe, la tournée de promotion de ce quatrième album connaissant un large succès et culminant avec un spectacle à guichets fermés au Ahoy de Rotterdam avec le Dutch Metropole Orchestra devant plus de 14000 spectateurs. Ce spectacle, publié en CD et DVD sous le nom de Black Symphony, est un achat incontournable pour quiconque veut découvrir Within Temptation: le répertoire joué offre une belle rétrospective de leur carrière, l’aspect visuel y est spectaculaire et surtout, la présence de l’orchestre et d’une chorale porte la musique à un autre niveau.
Les masques tombent
Même si Within Temptation est parvenu, d’un album à l’autre, à se rallier un public de plus en plus large, on sent qu’il devra prendre une décision concernant son avenir. Le choix est à la fois simple et problématique: Within Temptation doit-il continuer à produire une musique symphonique et sophistiquée ou doit-il miser sur une transformation pour espérer augmenter son auditoire sans pour autant s’aliéner le public qu’il a durement gagné? À l’écoute de The Unforgiving, paru en 2011, on constate rapidement que c’est la seconde option qui l’a emporté.
Si l’évolution entre Enter et Mother Earth avait constitué un changement assez abrupt que l’on pouvait mettre sur le compte de la jeunesse et de la recherche d’identité, on ne peut en dire autant sur ce virage à 180 degrés qui marque carrément un nouveau départ et qui relève davantage d’un choix de carrière. En effet, le groupe s’est donné les moyens d’aller chercher le « grand public » en se transformant de manière radicale. Premier changement que l’on remarque, le look. Fini les robes gothiques et excentriques, on enfile le blouson de cuir pour rocker! L’autre changement, sonore celui-là, place les guitares au premier plan. Ce virage saute à l’oreille dès l’écoute de Faster, single paru quelques temps avant la parution de ce cinquième album.
Le parti pris de la production place les riffs accrocheurs à l’avant, réduisant la contribution des claviers, les confinant presque à un rôle figuratif si l’on fait exception de Iron, seul titre présent sur The Unforgiving qui évoque le passé symphonique de la bande à Sharon. Within Temptation mise donc sur son côté accrocheur en lançant sur les ondes la très rock et susnommé Faster, la dynamique Shot in the Dark et Sinead, titre « dansant » qui utilise des claviers à sonorité électro, nouvelle composante de la palette du claviériste Martijn Spierenburg. Le groupe a aussi habilement saupoudré trois ballades, faisant de The Unforgiving un album très accessible, visant un public très varié et qui, malgré le changement radical, n’a pas fait décrocher les vieux fans. La raison en est fort simple: les amateurs du groupe sont habitués à voir leurs favoris évoluer et malgré ce changement sonore, il faut bien admettre que la formule est efficace et que les pièces sont très accrocheuses à l’oreille sans être pour autant racoleuses et simplistes. On a donc affaire ici à un album rock commercial, mais intelligent.
Commercialement parlant, la manœuvre s’est avérée payante, The Unforgiving rapportant à ses auteurs de belles ventes, des top ten dans dix pays d’Europe et un certain succès sur notre continent, avec un #50 au Billboard 200 (#14 de la rubrique rock albums et #6 de la rubrique hard rock albums) et une 40e position par chez-nous, première entrée de Within Temptation sur les palmarès canadiens.
Ci-bas, vous pourrez lire ma critique de Hydra, le tout nouvel album paru ici en Amérique le 4 février dernier, mais auparavant revenons à la question posée en début de dossier: Within Temptation progresse-t-il artistiquement ou a-t-il simplement vendu son âme de manière opportuniste au nom d’un carriérisme destiné à vendre le plus grand nombre d’albums possibles? La première option est parfaitement défendable car le son de Within Temptation s’est transformé d’album en album, passant du metal gothique au metal symphonique pour finalement se muer en un habile hybride entre metal et rock mélodique. Cette mutation s’étant faite de manière graduelle, nous pouvons plaider pour la progression artistique.
Toutefois, la deuxième option paraît tout de même la plus vraisemblable pour deux raisons. Premièrement, le côté accrocheur du groupe a toujours pris de plus en plus de place, comme si Within Temptation cherchait à retrouver le succès obtenu avec Ice Queen. Finalement, la disparition des claviers observée au profit des guitares suggère que ce virage est délibéré afin de rendre la musique plus simple à l’oreille pour un large public. C’est donc un pari délibéré qu’a pris Within Temptation. La réaction des vieux fans laisse croire que ceux-ci ne déserteront pas malgré la simplification du propos, mais cette manœuvre sera-t-elle pour autant payante commercialement? À ce stade de leur carrière, les Néerlandais ont atteint un point important qui déterminera comment ils seront perçus dans 20 ans: groupe metal fétiche ou vedettes rock internationales?
*Les données énumérées dans ce dossier concernant les performances au palmarès sont tirées de Wikipédia.
Hydra : la bête à la conquête du monde
Dans la mythologie grecque, l’Hydre de Lerne est un monstre à plusieurs têtes qu’a dû combattre Heraclès pour accomplir le deuxième de ses douze travaux. Dans la mythologie metal néerlandaise, Hydra symbolise maintenant les directions multiples prises par la musique de Within Temptation. La musique offerte par Within Temptation étant variée, le choix du nom de ce sixième album est bien choisi.
Afin de pouvoir davantage nous montrer ses plusieurs visages, Within Temptation s’est adjoint les services de quatre invités derrière le micro. Si la présence de l’ex-Nightwish, Tarja Turunen est naturelle et fait merveille sur Paradise (What About Us?), on ne peut s’empêcher de froncer les sourcils en constatant que le rappeur Xzibit a prêté sa voix et ses mots (comme coauteur) à la pièce And We Run. À ma grande surprise, cette dernière s’avère une intéressante réussite, l’addition d’une voix rap sur fond rock contribuant à surprendre l’auditeur. Même pour quelqu’un comme moi qui déteste ce genre musical, le tout est parfaitement digeste.
La collaboration la plus réussie demeure toutefois celle de l’ex-vocaliste de Killswitch Engage, Howard Jones, qui grâce à sa voix grave et profonde, se révèle un beau complément sur la dynamique Dangerous. Finalement, sur la très pop rock Whole World is Watching, la réplique est assurée par Dave Pirner, chanteur de Soul Asylum. Considérant que sur la version est-européenne de Hydra, on retrouve Piotr Rogucki du groupe Coma plutôt que Pirner sur cette dernière pièce, on peut hausser à cinq le nombre des invités. Ajoutons également qu’une surprise s’est glissée sur Silver Moonlight (selon moi le meilleur titre de l’album) et sur Tell Me Why, soit le retour de Robert Westerholt au grunt, lui qui n’avait pas utilisé sa voix sur album depuis plus d’une décennie. Malgré la qualité de ces invités, c’est toutefois la chanteuse Sharon den Adel qui s’avère indiscutablement la vedette de Hydra, la dame étant parfaitement à l’aise dans le nouveau créneau adopté par le groupe. Oui, plus que jamais, la belle (à l’aube de ses 40 ans, elle rayonne plus que jamais) est bien en voix.
Musicalement, les Néerlandais confirment le virage pris sur l’album précédent. Ce sont donc les guitares qui dominent l’ensemble, nous gratifiant de riffs lourds et de quelques bons solos (notamment sur les solides Let Us Burn et Covered By Roses), les autres instruments assurant efficacement le soutien. Toutefois, si The Unforgiving s’essoufflait considérablement en deuxième moitié de parcours, Hydra est beaucoup plus constant et l’énergie y est palpable pendant 50 minutes, les titres les plus dispensables (la ballade Edge of the World et la monotone Dog Days) étant bien dispersés sur l’album et n’arrivant pas à atténuer notre intérêt.
En bout de ligne, à l’image de la variété sonore retrouvée sur Hydra, votre appréciation de cet album dépendra grandement de la grille d’analyse que vous utiliserez pour l’évaluer. Pour une personne qui n’écoute exclusivement que du metal et qui s’attend à retrouver les grandes envolées symphoniques de l’époque de Mother Earth, la déception sera grande; si vous appartenez à cette catégorie de gens, passez votre tour. Par contre, si comme moi vous avez besoin d’offrir à vos oreilles quelque chose de différent à l’occasion, vous serez en mesure de reconnaître que si Within Temptation a perdu de la profondeur, il sait faire preuve d’un réel talent pour composer une musique rock solide et variée. La renommée du groupe n’étant plus à faire en Europe, Hydra a fait des merveilles sur le Vieux Continent dès sa sortie. Restait maintenant à savoir si le marché nord-américain suivrait… Et bien Hydra est entré au #16 sur le Billboard 200.