imagejpeg_4

 

Il arrive souvent (pas mal tout le temps…) que les gens ont une mauvaise opinion/impression à propos de la musique underground (punk/métal et les sous-genres affiliés). Cela semble chose commune, c’est une »habitude». Bien que somme toute assez désagréable, cet état de fait est compréhensible, au travers de la musique aux sonorités extrêmes, les pochettes d’albums choquantes et les propos agressifs, il y a peu de chance que le larbin moyen puisse y trouver son compte. Comme on dit en bon Québécois: c’est ça qui est ça.  On ne se le cachera pas, un artiste/groupe qui s’adonne à ce genre de musique ne cherche pas vraiment à séduire le plus grand nombre, l’oeuvre s’adresse aux initiés. Parfois il arrive, volontairement ou non, que certains groupes/individus réussissent le tour de force de donner une bonne image du monde musical underground.  Prenons par exemple les soirées Québécoises «Parkinson Métal» (dont un Battle of the Band) qui amassent des fonds pour la recherche contre la maladie de Parkinson.

Un autre bon exemple est le français Vivian Grezzini, infirmier en psychiatrie, qui depuis 2011 fait jouer des groupes de Grindcore et de Noise pour les patients de l’hôpital où il travaille à Bourg-en-Bresse (Ain) et qui plus est a son propre label de Noise ! Du Grindcore pour des patients en psychiatrie; bien qu’à première vue cela puisse paraître incongru, en y repensant bien, pas tant que ça …  Voici une entrevue avec un infirmier nouveau genre! – David-Alexandre

______________________________

 

D-A – Tout d’abord, pouvez-vous nous parler de vous, de votre background professionel et musical?

Vivian Bonjour et tout d’abord, merci pour votre intérêt.

Je travaille auprès de personnes présentant des troubles envahissants du développement avec déficience mentale profonde en milieu psychiatrique depuis 2010. La majorité des patients pris en charge n’ont pas accès à la parole et sont hospitalisés depuis de longues années. Ceux que l’on peut appeler les «chroniques». Le soin auprès d’eux est au très long cours, le but étant d’arriver à trouver un équilibre rendant l’intégration possible dans un lieu de vie autre que la psychiatrie.

Parallèlement à cela, je m’occupe du label Underground Pollution Records depuis 2005, et évolue dans le milieu noise au sens large également. J’ai organisé pas mal de concerts dans mon appartement entre août 2010 et mars 2013, c’est donc naturellement que j’ai monté un projet visant à faire entrer l’extérieur dans l’unité, par le biais de concerts bruyants (harshnoise / drone / noisecore / grindcore / Indus …). L’après midi, c’était concert dans l’unité, le soir à la maison. Le premier concert (avec l’Italien Luca Sigurta, juin 2011) était un test, quitte ou double, et au vu des résultats le médecin psychiatre m’a donné carte blanche pour continuer tous les mois. Puis j’ai mis en place deux ateliers autour du bruit, qui ont lieu toutes les semaines avec des groupes de patients fixes (on dit thérapeutiques) étant donné le côté important de la répétition et la ritualisation pour arriver à des résultats même infimes avec cette population.

 

D-A – Comment vous est venu l’idée d’une telle thérapie, y a t-il eu un élément déclencheur particulier?

Vivian L’inactivité, l’ennui, la friche, appelez ça comme vous le voulez. Je savais que ces patients avaient (ont) un potentiel incroyable qui sommeillait en eux sans être utilisé à des fins thérapeutiques. Il fallait quelque chose de fort, de contenant, d’enveloppant, brut, instinctif. D’où mon penchant pour le son noise.

Après plusieurs années de pratique sur le son noise uniquement, j’ai décidé d’élargir cela en proposant une activité plutôt festive, le dimanche après midi: «la boum du dimanche«, qui a lieu toutes les semaines itou, et où on passe des vieux 45 tours de pop pour faire la fête, danser, chanter, enfin insuffler de la dynamique et de la vie. Ce qui ne change rien au fait qu’il y ait des concerts noise tous les mois et deux festivals par an. L’arsenal thérapeutique mis à la disposition autour du patient doit être varié.

 

D-A – Quel est l’objectif  de cette thérapie?

Vivian Je ne pense pas que l’on puisse parler de thérapie mais plutôt d’outil thérapeutique. Tout est thérapeutique, cela dépend du sens mis derrière les gestes (cf Antonin Artaud «le théâtre et son double«). Les concerts à eux seuls ne peuvent être considérés comme thérapie, ni les ateliers. Le tout est thérapeutique.

L’objectif ultime des soins prodigués est d’arriver à créer une dynamique groupale compatible avec les attentes des lieux de vie afin de pouvoir placer le patient dans un réseau de soin où l’hôpital psychiatrique n’est qu’un maillon de la chaîne et non le centre.

Nous travaillons également sur la détente, le plaisir, le partage et l’expression de la personne hors des carcans admis en terme de déficience mentale profonde.

 

D-A – Comment vos proches et vos collègues perçoivent-ils votre “oeuvre”?

Vivian En ce qui concerne mes proches, ils me soutiennent même si cela reste abstrait pour eux.

Pour ce qui est de mes collègues, le bilan est mitigé. Certains me soutiennent de façon inconditionnelle et s’investissent, d’autres sont indifférents, et d’autres détestent.

Le travail d’équipe est primordial, et je dois composer avec ces données. Et heureusement, je sais qu’il y a des personnes sur qui je peux compter (et elles se reconnaitront).

 

D-A – Quelles ont été /sont les réactions de la communauté underground de votre région?

Vivian On se connait quasiment tous, et le bouche à oreilles fonctionne de façon incroyable. Une bonne partie de l’UG regional est par ici, et les gars soutiennent mon initiative à fond!

 

D-A – Le simple fait que vos concerts continuent depuis trois ans en est déjà un bon indicatif, mais jusqu’à quel point votre thérapie est-elle effective?

Vivian Croyez moi, les progrès effectués par nos patients et qu’ils continuent de faire sont des indicateurs encourageants. Il y a un réel engouement des patients pour les concerts, et d’autres unités de l’hôpital montrent de l’intérêt pour cela.

 

D-A – Vous avez déjà mentionné que vous laissez les groupes vous contacter pour les concerts, mais y en t-il certains que vous avez contacté vous-même, que vous désiriez vraiment booker?

Vivian Je pars du principe de ne pas contacter les groupes pour ne pas tourner en rond et pour faire jouer des groupes que je ne connais pas, accepter de se laisser surprendre. Il est arrivé que je contacte les groupes, évidemment, mais j’évite de le faire, n’ayant pas l’assise financière pour me payer ce luxe.

Habituellement, ce sont des groupes en tournée qui me contactent, qui passent dans le coin. L’occasion fait le larron comme on dit.

 

D-A – Vous organisez aussi un festival, est-ce selon le même principe, les groupes vous contactent pour y participer?

Vivian Deux festivals même, depuis cette année: un en juin et un en septembre. Le concept reste le même évidemment.

La particularité des festivals est qu’ils sont ouverts à tout l’hôpital (450 lits) et non uniquement aux patients pris en charge dans l’unité où je travaille.

 

D-A – Comment est-ce que cela marche pour les concerts et le festival, les groupes reçoivent-ils une rémunération ou tout se fait sur une base volontaire?

Vivian L’hôpital prend en charge un petit défraiement (je dis bien petit), et de mon côté je gère la nourriture et le sleeping des groupes dans notre maison («notre» car il y a aussi ma compagne), de façon bénévole.

 

D-A – Dans un autre média, vous avez mentionné le fait que les concerts sont strictement ouverts aux patients et au personnel de l’hôpital, est-ce encore le cas? Et si oui, est-ce une formule que vous prévoyez changer éventuellement ?

Vivian J’espère pouvoir un jour ouvrir à tous, comme des concerts «normaux». Mélanger patients et badauds, pour lutter contre le paternalisme ambiant et la surprotection des personnes en situation de handicap.

 

D-A – Quels sont vos projets pour l’avenir en ce qui a trait aux concerts et à votre label?

Vivian Les concerts sont bookés jusqu’à novembre 2015 (!!!), c’est une mécanique bien rodée.

Je suis en train de monter une salle pour travailler sur l’enveloppement par des tonalités basses (voire infrabasses) pour une patiente autiste de Kanner.

En ce qui concerne le label, toujours des tonnes de cassettes bien barrées et de vinyls tout aussi sales. Le plus simple est d’aller sur le site du label, parce que la cadence est soutenue!

 

D-A – Merci beaucoup pour ces réponses Vivian et bonne chance pour la suite!

 

imagejpeg_2 copy

 

 

imagejpeg_6

imagejpeg_3

imagejpeg_2